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le militantisme est une politique de la peur

alors que je râlais, encore une fois, sur l’absence de logique généralisée en temps de COVID encore plus que d’habitude parce qu’un pote ne veut pas sortir de chez lui et prétexte tout ce merdier pour me dire qu’on se reverra à la saint glinglin, on me demanda si ce pote avant des raisons de craindre le racisme des flics pour ne pas sortir.

La question m’a agacée : en plus d’être à côté de la plaque pour ce qui me préoccupait, je l’ai trouvé vaguement insultante vis à vis de ma connaissance de ce monde. Et mon agacement est la raison principale de mon propre repli jusqu’à ce que le monde retrouve son petit train-train, me laissant à mes lubies bizarres  : plus que jamais j’ai l’impression qu’on me prend pour une débile ou une enfant à qui il faut expliquer des bases simples en usant de multiples pincettes pour qu’elle reste raisonnable et ne se mette pas à crier trop fort. est-ce que ce copain « avait des raisons de craindre le racisme des flics ?  » est une tournure de phrase pour le moins compliquée pour demander si ton pote est Noir ou Arabe, et j’en restait coite : je ne sais pas à quel moment j’ai pu donner l’impression d’ignorer le racisme des flics, ou les craintes justifiées. et j’ai réfléchi, réfléchi une bonne partie de la nuit. Mon discours ne s’attarde plus sur les multiples et complexes intrications des diverses oppressions, je n’ai pas le temps pour ça et je n’ai plus envie de me perdre en tergiversations. Et des gens que je suis amenée à croiser encore dehors, heh, beaucoup sont Noirs et Arabes, inutile d’expliquer les intrications aussi de la précarité, du racisme, et l’accès au logement vivable attribué en fonction de ces critères, c’est de l’ordre de l’évidence.  D’ailleurs, en traversant Paris à pied du sud au nord pendant ce confinement, la différence de peuplement est tout à fait visible selon le niveau de vie des quartiers parcourus.

et puis, je me suis dit en regardant dans mon entourage qui sort, qui ne sort pas, et qui reste logique que y’a quand même une chose qui transparait dans tout ça, et depuis longtemps, et que j’avais constaté en moi concernant le féminisme : que les gens à devenir illogiques, contradictoires et démesurément craintifs de trucs qui ne les concernent même pas en premier lieu sont des gens qui s’informent à outrance ou bien se disent militantEs, d’une façon ou d’une autre. Comme au bout d’un moment les discours féministes tournant en boucle autour du témoignage et de l’étalage de constats déprimants je m’étais rendue compte que ça avait fini par nourrir des peurs que je n’avais pas. comme j’avais lu des témoignages de meufs authentiquement terrorisées en racontant du rien, rien d’autre que leur peur et aucune raison objective pour elles d’avoir peur, aucune menace réelle n’étant décrite, mais des anticipations dues à ce qu’elles avaient pu lire sur ces questions et un endossement de situations difficiles chez des gens non concernées par ces questions en premier lieu, dans une espèce d’autosurveillance et d’autocontrainte coupable. Comme si la liberté qu’on pouvait prendre pour soi était une insulte adressée à celleux qui ne pourraient sans doute pas prendre ces libertés sans en subir de graves conséquences. Ça ne devenait plus que la description, de plus en plus poussée, exhibitionniste de stigmates et en appelant clairement au voyeurisme, d’une façon très logique, et entrainant chez les meufs à lire et s’abreuver d’un tel militantisme, une vision d’horreur, un Armageddon permanent, une absence totale de lumière, une fatalité paralysante et totalisante et l’annihilation de toute tentative de lutte, en se pressant de détailler tout ce qui empêche celle ci, et renvoyant la lutte à un privilège. Ainsi si je sortais sans crainte dans la rue en tant que femme, c’est que j’usais d’un privilège, celui en somme de ne pas avoir peur, ce qu’on attendait d’une femme. Une vision essentialisante en somme,  provenant d’un mouvement prétendant œuvrer pour l’émancipation des femmes.

Je repensais à ça et je me disais que le militantisme sur les « violences policières » (et au lieu de parler de la violence de l’institution elle-même, bras armé de l’état, laissant entendre qu’il existe une police sympa comme si il existait une répression à la coule) est finalement assez proche, les gens qui comme moi continuent de sortir et sans pour autant nier ce qu’est la répression et la connaissant même bien, ne cherchent pas pour autant à s’abreuver en boucle de cette peur, et comme je constate aussi en moi comme je gagne en liberté de mouvement en ayant coupé, justement, ce que je pouvais lire de militant. Par militant ici j’entends le discours en boucle sur la fatalité et la description des horreurs, sans analyse, sans conclusion autre que « c’est l’horreur ».  C’est le principe du militantisme comme celui du politique  : abreuver en horreur du présent pour mieux te vendre un paradis futur, et si tu rejoins la troupe et t’en remets à une autorité bienveillante.

Ne pas parler en boucle de l’horreur que peut être ce monde ne signifie pas en ignorer la dégueulasserie, ou se satisfaire de ce monde dans une vision naïve. Ce que j’ai entendu dans cette question, c’est la naïveté qu’on me prête à me parler comme si j’ignorais que la police est raciste ou comme si je n’avais justement pas pensé à toutes les craintes qu’on peut avoir aujourd’hui encore plus qu’avant en triant ainsi ses relations. Aujourd’hui plus que jamais, je pense que le « militantisme » est non seulement stérile, mais est nocif, parce que bloquant toute initiative dans une vision apocalyptique sidérante. Oui tout est sidérant, et tout l’a toujours été de mon point de vue il n’y a rien de nouveau sous le COVID,  mais regarder en boucle les infos et le militantisme qui lui emboite strictement le pas dans la diffusion d’une autre peur n’aide réellement pas, voir enfonce toujours plus.

Les gens à sortir encore dans mon entourage encore ne sont pas militants et n’ignorent rien de comment ce monde fonctionne, simplement ils n’ont pas de vision déformée et accentuée par le ressassement malsain.