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l’intellectualisation

mes allers retours hésitants à écrire, effacer, partir, revenir, vont au gré des mêmes mouvements dans ma vie et dans ma tête.
A vrai dire, si j’hésite c’est à cause du constat tous les jours fait ici, et surtout à Paris, qu’on se torche allègrement avec la cohérence voire on la retourne comme un gant pour pouvoir aussi prendre sa petite part de  légitimité, de la reconnaissance ou devenir « quelqu’un », même si c’est dans un tout petit milieu même si c’est dans l’underground, même si etc etc etc. C’est toujours le même problème : les gens, aussi radicaux le prétendent-iels, veulent accéder à leur petit bout de crédibilité parce que précisément, ils n’ont pas foi en qui iels sont pour elleux-mêmes, et ça vaut dire dans ses failles aussi. Je ne m’exclue pas du tout de ce que je dis, et justement si j’en cause c’est bien pour avoir testé vu et palpé ce que cette saloperie peut produire, et dans ma propre tête et autour de moi.

Mais voilà à force de me cogner aussi aux évidentes impostures qui finissent toujours par se dévoiler, à force de devenir chèvre à coups de dissonances, à force de voir des gens qui m’ont approchée pourtant pour des raisons politiques me tourner le dos voire décider pour moi qui je pouvais ou ne pouvais pas voir, à force de me faire renvoyer plus ou moins directement les positions qu’on disait pourtant kiffer sous X prétexte à en tordre des concepts jusqu’à modeler une vérité à son goût, j’ai fini par constater et poser quelques jalons qui devaient l’être, par préservation. Pour ne pas finir de devenir complètement folle, et parce que précisément ces concepts tordus à l’infini pour politiser des affects tout en niant l’intrication de l’affect et du politique est une chose si courante et si banale que j’ai fini par le voir : c’est quelque chose qui agit très exactement dans le sens du vieux monde, celui qu’on prétend pourtant haïr.

Là où la maitrise du langage et de la rhétorique est une saloperie encore pire que ce que je pensais, c’est que je vois ces choses agir y compris sur des gens qui pourtant ont une certaine habitude de ces petites manœuvres. Ce n’est pas exactement une chose critiquable puisque si ça agit même auprès de gens à en avoir l’habitude, c’est essentiellement parce que ce sont des gens optimistes, à vouloir lutter quoi qu’il arrive et toujours rencontrer des personnes pour cela et se laissent parfois embarquer dans des trucs sans voir l’évidence qu’on a sous les yeux.

J’ai réalisé ça à mon tour, je pensais avoir assez de recul pour comprendre à quel point ce qu’il s’était passé quand j’ai claqué la porte du collectif où j’étais était dégueulasse mais je n’avais pas encore vu ce qui est pourtant évident, ce qui se répète encore, et si je reprends encore ce blog c’est parce que -une fois de plus- si il me faut au minimum 6 mois pour piger pleinement ce qu’il se passe, il en est de même avec des copainEs du même tonneau que moi, jusqu’à ce que je tombe miraculeusement sur quelqu’unE qui me comprend et qui réveille ma révolte dans mes moments de dépression réactivés par cette merde.

C’est éternellement ce cycle infernal de l’instrumentalisation politique pour régler du personnel. C’est la considération de l’intime non pas pour se défaire de peurs et avancer, considérer nos failles non pas comme des empêchements mais comme des choses à connaitre et prendre en compte, mais pour en faire une arme contre toujours les mêmes : les radicaux, anarchistes et soucieux-ses de cohérence, des révoltéEs,  prompts à se remettre en question ou en tous cas qui ont pour but de détruire le monde dans ce qu’il a de dégueulasse : de l’enfermement à l’exploitation, des séparations et de l’absence de rêve. La manœuvre, si elle est vraiment une sale habitude et depuis un sacré bail, continue pourtant d’être efficace, et elle s’avère d’autant plus sournoise que ses formes toujours renouvelées et tordues immisce le politique dans tout rapport humain pour se retourner dans une instrumentalisation des idées et par le biais de gens fort habiles avec les mots, le retournement des mots et le dressage qu’on en finit plus de vouloir exercer.

Si je reste désormais en dehors des milieux politisés après une brève incursion, c’est justement à cause de ça, et non pas de ce qu’on s’empresse de désigner comme « non inclusif » pour prétendre -comme si c’était ça le problème- que c’est la raison pour laquelle les minorités fuiraient les milieux radicaux (à ce propos, il faut voir aussi ce qui relève d’affirmation péremptoire d’une vérité objective, où on regarde et qui on écoute). J’ai renoué avec mes idées, et très doucement et en prenant tout un tas de gants, parce que j’étais devenue après cette incursion très méfiante dès lors qu’on avait des prétentions politiques. Pour autant, je ne peux pas me résoudre à abandonner pour me replier sur une petite vie morne et calme et dans le déni de ce qui continue d’exister parce que finalement c’est un repli libéral, alors je continue de chercher des gens qui me comprennent et avec qui faire.

Bien heureusement pour moi je suis aussi très bien tombée et si j’ai souffert d’impostures ici je choisis de voir qui ça m’aura fait rencontrer dans mon cheminement. Mais il m’a fallu 2 ans et demi pour enfin me permettre d’être moi-même parce que précisément je restais bien méfiante à l’écart pouvant exister entre les mots et les actes, et cette manie de l’intellectualisation intervient aussi en moi quand je doute de ce que je suis, de ma légitimité à l’ouvrir, que je doute de tout au point de croire que ce que je raconte sur le politique doit être parfaitement idiot ou manquant de références, et parce que ces positions dans le monde dans lequel on s’enfonce sont de moins en moins exposables sans des kilomètres d’explication sous peine d’être taxée de réac, parce que la façon brute de le dire fait faire la grimace aux gens grattant autre chose, et à commencer par la légitimité.
L’accusation d’être réac c’est le nouveau mode de silenciation, ça fait quelques années que c’est en place et que ça s’amplifie, et là où ‘est quand même incroyable c’est que ça finit par agir aussi dans le sens réactionnaire sans que personne ne semble le remarquer à part quelques unEs qui vont beaucoup trop douter pour oser le dire, ou se replier par dégout. Peut être bien que les minorités fuient les milieux radicaux à cause de ça et non pas de prétendus effets du monde qu’on cherche à attaquer et peut être bien que c’est à cause de ce rouleau compresseur intellectualisant qui n’est ni plus ni moins que le relai direct de l’école et de ce à quoi elle prépare. Peut être bien que les gens à dénoncer l’absence de radicalité de beaucoup de milieux militants pourraient aussi se poser la question 30 secondes des choix de vie et ce qui les a conduits, de leur manie aussi de vouloir tirer vers quelque chose de très abstrait par le biais de mots jamais incarnés, une révolte de papier. C’est un double mouvement. Perso ça n’a été mieux qu’à partir du moment où j’ai pigé que ce qui était affiché de confiance et de radicalité n’était pas non plus une image très réaliste et que je n’avais pas à rougir particulièrement de ne pas être complètement cohérente vis à vis de ma vie tant que d’autres admettent aussi avoir des failles. Il faut bien comprendre que l’image qu’on peut donner agit sur l’autre et pose d’une certaine façon le mode de communication. Ça n’a été mieux que quand je me suis décidée à assumer qui je suis sans en avoir peur d’être jugée pour ça, ou plus précisément parce que je m’en fous d’être jugée pour ça : je n’ai de comptes à rendre à personne -ni socedem ni radical ni même anar- et je sais comment me remettre en question et dans quel sens. et tout ça na été possible que parce que j’ai trouvé aussi l’écho de ce que je peux être, au delà de l’image que j’ai malgré moi, parce que précisément on m’a signifié qu’on se foutait éperdument de cette image sans avoir peur de me froisser, et tout au contraire j’en ai été ravie.

On finit par tomber dans ce piège de l’intellectualisation quand justement on a été trop prisEs pour des gaminEs à éduquer, des imbéciles à élever, des ados à calmer, des rêveurs à mettre au taf, des révoltéEs à mater. A force de se faire renvoyer dans  la gueule cette accusation d’être illuminéE, irraisonnable ou fou, d’être inculte, bête ou dans une posture avant-gardiste on cherche aussi à faire entendre que non nous ne le sommes pas, et à mon avis la profusion de textes, de journaux, d’articles, de blogs anarchistes découle de cette frustration à être vus comme des dingues à dresser plutôt qu’entendus de la bonne façon, et à égalité. Je le sais je tombe dans ce piège souvent, à force d’être prise pour une débile qui ne réfléchit pas à cause de mon genre, de mon âge, de l’écart qui existe entre ce que le monde voudrait que je sois et ce que je suis, à cause du fait, souvent qu’on ne me croit pas quand j’explique une position à l’encontre de ce monde, parce que c’est un monde de mensonge et d’hypocrisie aussi.

Je tombe dans ce piège quand, lasse qu’on me parle comme à une décervelée inconsistante parce que je suis moi-même, je cherche à être entendue et écoutée. Mais voilà je n’avais pas vu cette évidence là : celle qu’il faille avoir le bon vocabulaire, la bonne attitude, les bons mots pour s’exprimer est une exigence tout à fait bourgeoise (et je ne parle pas de thune), celle qui corrige dresse et rend polie, celle qui éduque, celle qui demande de manier les concepts en vogue en oubliant beaucoup de choses.

Je me suis décidée à regarder ce que je pouvais faire aussi en ce sens, pourtant toujours entourée de gens qui n’ont pas été à l’école ou qui n’ont pas réussi et en sont très contents, qui sont justement vus comme ces idiots à éduquer et sur qui les politiciens s’acharnent avec un sadisme déguisé en bonnes intentions. C’est quand je vois ce qu’on fait à mes copainEs prétenduement trop bêtes ou trop radicaux ou trop ceci cela en tous cas trop libres,  en les assignant à cette expression pour avoir le droit de dire leur colère, ordonnée et organisée selon les termes qu’on aura érigés en nomenclature  que celle-ci me submerge. et c’est au moment où cette colère me submerge que je vois le piège dans lequel je peux tomber aussi. C’est ce qui me fait effacer les textes ici souvent, parce que l’intellectualisation menace en permanence à force d’être prise pour une idiote parce que je suis révoltée et refuse d’adopter le vocabulaire qu’on attend.

Des tas de fois on m’a dit quelle furie je pouvais être, des tas de fois on a froncé les sourcils ou on a pleuré que j’étais méchante en mélangeant l’affect et le politique là où ça devait être séparé. Des tas de fois on m’a renvoyé à mon expression trop brutale pour nier le fond de mon propos, focaliser sur la forme pour nier le fond quand je ne sépare pas les deux, alors j’ai écouté, j’ai pris sur moi, j’ai douté et j’ai fini par adopter, à force de solitude déprimante et pour moi et pour les idées que je défends, un langage qui n’était pas le mien. Un langage lissé, policé, j’ai usé des termes qu’on m’enjoignait à adopter sous peine de ne pas être crédible et dans le but d’être entendue.

Mais ce n’était pas moi et, pire  je finissais par marcher dans les pas de ce que je voulais détruire. Sans m’en rendre compte tout de suite j’ai fini par glisser dans ce que je détestais le plus, et autour et en moi je constatais aussi les effets de cette quête de légitimité : elle entrainait d’autres sur cette voie, à chercher les mots plutôt que l’action, les discussions interminables qui ne débouchaient sur rien et au détriment aussi de la vie et de sa drôlerie, et au détriment de soi-même. Réveiller qui j’étais n’a été possible que quand j’ai vu ce que ça produisait, et politiquement et intimement et en moi et surtout dans les autres autour : je faisais du mal à force de chercher à être crédible pour être entendue, je faisais du mal à force de nier qui j’étais.

Je ne veux pas d’un monde triste et sans imagination, je ne veux pas d’un monde dans lequel il faille préciser la case assignée pour avoir droit d’être soi et hors de ces cases, si je suis bel et bien anarchiste c’est surtout en ça : ne pas me reconnaitre dans ce que ce monde attend de moi. Et ce monde là ne veut pas que des gens qui ne veulent pas bosser en soient parfaitement heureux même pauvres, il ne veut pas que des femmes soient libres, il ne veut pas que des incultes puissent dire leur colère, il ne veut pas de la révolte, alors le vieux monde prend la forme militante : il désigne le vocabulaire et sermonne, il prétend s’occuper d’affects pour en nier la plus grosse part, il prétend parler du nécessaire retour sur soi mais pour en faire une culpabilité plutôt qu’une force, il prétend se préoccuper de ce que produisent ses tensions sur les individus mais pour nier le politique dans une vision finalement très libérale, il dit le contraire de ce qu’il fait. Le vieux monde s’acharne à séparer parce que c’est ce qui le maintient, et ça s’immiscera jusque dans les lieux et milieux radicaux, pour créer encore de nouvelles alternatives plutôt que tout autre chose, en boucle infinie.

La fierté à être soi-même n’est pas une fierté égocentrique et libérale : elle est au contraire la considération de ce qui permet et de vivre et de lutter dans la reconnaissance des fragilités. Non pas pour tourner indéfiniment autour dans une boucle d’empêchements mais y puiser de la force. La force dont je parle n’est pas cette saloperie fascisante de l’ubermensch solitaire à force de se croire au dessus de la mêlée c’est le contraire : la force vient de la connaissance et la considération de ses propres failles et ça n’est que ça qui peut faire prendre en compte celle des copainEs à côté. Celle de la peur de ne pas être légitime en fait pleinement partie, pour savoir qui et comment on fait en sorte que cette faille ne soit pas un empêchement :  pour savoir que si tu boites d’une jambe ça n’est pas grave : ton copain à côté le sait et le prend en compte, et lui a une autre boiterie que tu sauras compenser. Le but n’est pas de causer de ces failles indéfiniment, mais pouvoir les dire et les prendre en compte simplement pour attaquer, ensemble, ce qui voudrait nous faire avaler que la révolte est une chose à taire ou à dresser. Et pour cela, il faut finalement voir que la personne en face ne s’adresse pas forcément à toi en voulant profiter de cette faille pour te détruire, mais pour avancer avec toi dans la même direction.  La force trouvée dans la confiance parce que l’autre va prendre en compte cette fragilité donne l’énergie indispensable à dépasser la boucle égocentrée pour finalement attaquer tout ce qu’on hait.

 

 

les charognards

Un syndicat il y a peu a surfé, comme ça s’est vu d’autres fois, sur le mal-être des gens pour recruter. Il était dit en somme que la dépression se combat par le syndicalisme et appelait les brebis égarées à rejoindre le groupe bienveillant.

Qu’allait proposer ce syndicat en réponse à la dépression de ces personnes récupérées ainsi ? un espoir lointain, une promesse, et à la condition de rester dans les clous dudit syndicat ? continuer à travailler, à croitre, et en apprenant en sus à défendre ce droit à être exploité ? par quel miracle un discours pareil, limitant et triste, pourrait sortir d’une dépression ?

Si les causes du suicide ne sont jamais univoques il y a malgré tout quelque chose de l’ordre de l’insupportable qui relie. L’insupportable de ce monde quand on est fragile, l’insupportable de ne pas arriver à trouver sa place dans une société qui te veut précisément situéE, homme ou femme, exploité ou exploiteur, père ou mère, etc. et l’insupportable arrive alors qu’on constate que tous les efforts en ce sens ne sont pas récompensés comme on le promet, et qu’on se découvre un jour malheureux sans arriver à expliquer la raison.

On a été bien sages, bien dans les clous, bien travailleurs et bien honnêtes, on a mis de côté pour goûter un paradis à la retraite, et tout ça n’est pas récompensé. Un malaise subsiste, un mal-être diffus. Comment se fait-il que je ne suis pas plus heureux-se à avoir suivi pourtant tout le mode d’emploi, et quand au juste ce sentiment s’est-il imposé ? je me souviens de ce temps où plus jeune je m’en foutais d’être mariéE, avec des mômes, sans maison et sans crédit, où travailler ne m’intéressait pas spécialement, quand la réussite me faisait rire.

Je galérais,  certes, et on n’avait de cesse de dire que la vie c’est dur, comme si c’était inévitable, une vérité implacable, une fatalité. J’avais pas de thune, mais j’avais des copainEs, on était pas organiséEs spécialement mais on se filait des coups de main sans même y penser : ton pote, c’est ton pote, et s’il a besoin de clope, de thune, de discuter, de se marrer ou de partager du chili ben on y va et c’est tout. Quand est-ce que cette entraide a disparu qu’on se retrouve à chercher ainsi la main tendue dans des organisations  et des tiers qu’on ne connait pas ?

Quand la société a réussi, à un moment ou un autre, à t’imposer ce qu’elle veut, par le crédit, le taf, la famille, le  ou la conjointe, la peur de l’avenir et de tout, l’attente, en bref l’enfermement. Quand tu as commencé à trouver des copainEs envahissants dans l’espace familial, dans le couple, quand tu es devenuE possessif et jaloux, quand le mal-être a fini par prendre le dessus avec la peur de perdre ce que tu as eu autant de mal à gagner, quand la joie et l’amitié ont cédé la place aux décomptes des services et à celui des trahisons, quand le soupçon et la jalousie t’a fait perdre de vue ton ou ta pote. Quand tu es devenu si malheureux à chercher à te conformer que les personnes autour qui l’ont fait comme toi et s’en sentent bien ne te comprennent plus : allons bon tu as tout pour être heureux.

Si tu as suivi ta route en continuant à t’en foutre de gagner correctement le droit d’exister tu as vu tes potes qui ont réussi devenir des assistantes sociales, à vouloir t’aider là où tu es très bien, sans comprendre que ça n’est pas l’argent qui te manque, mais les liens, distendus dans les différences de choix de vie. Ils veulent t’aider, parce que pour eux ça n’est pas concevable d’être bien sans travailler, sans thune et sans ambition, ce que tu voudrais c’est qu’ils continuent à te voir et comme avant, quand le travail et la famille, les sorties du samedi soir n’occupaient pas tout le temps et qu’on s’en foutait de débarquer à l’improviste.

La vie dans une telle société va jusqu’à séparer les meilleurEs amiEs, alors comment pourrait-il en être autrement sur les autres questions, tout est fait pour que l’entraide simple, le geste qu’on ne pense même pas, devienne suspect, alors comment on fait quand les petits murs se bâtissent rendant cette navigation encore plus compliquées et éloignant encore et encore les gens entre eux, jusqu’à ce que le fait de discuter dans la rue devienne une subversion incroyable ? comment penser toute question politique quand on cherche a priori à faire venir dans un cadre précis, qu’il soit syndical associatif ou militant, pour enclencher la discussion et de façon déjà ordonnée, quand en plus toute sociabilité sera traquée par l’état, hors du travail et dans la lutte en imposant des règles très restrictives aux occupations, dans un contresens évident comme on le voit à l’Odéon et dans la quasi totalité des lieux de culture occupés ?

Comment on se demande comment militer quand même voir des amiEs est compliqué ? a t-on envie de militer quand on est isoléE et qu’on rejoint ces lieux, ou est-ce autre chose qu’on vient trouver ? est ce que s’intéresser à la politique est contradictoire au fait de chercher des amiEs, complices ou autres ? Dans ces conditions, qu’est ce qu’on appelle solidarité quand on cherche le cadre avant toute chose ?

Comment on se demande, aujourd’hui et concrètement, de quelle façon militer puisqu’on nous empêche de nous voir  et que cet isolement crée l’état dépressif et l’impuissance, comment on en arrive à voir des syndicats surfer sur cet état d’ignoble façon quand on sait que ce syndicat ne donnera pas la réponse appropriée et même fera tout pour l’éviter, celle ci étant contre son intérêt propre ?

Dans une discussion avec un retraité foutu à la porte à très peu de la pension complète, alors que je lui disais  ma révolte à voir traités les gens comme ça, le redressement et le soulagement que j’ai vu, ce lien qui s’est créé subitement parce que la réponse que je donnais n’était pas la compassion ou la condescendance, mais l’empathie, il s’est passé ce qu’on veut tuer aujourd’hui, que ce soit l’état, les groupes définis ou les politiciens qui le veuillent : le lien d’entraide, brut et sans médiation, désintéressé et direct.

Mon père s’est suicidé, et si les raisons en étaient multiples, me reste en tête cette discussion au téléphone que j’avais eue avec lui quelques années plus tôt. Il s’est fait virer, si près du but de la retraite, parce qu’il s’est levé pour défendre une travailleuse contre son patron. Ce geste, je l’ai admiré de sa part parce que je savais combien il lui était difficile de voir que son patron était une ordure, et combien il avait toujours tenu le discours du bon travailleur, t il était zélé, provoquant de grosses engueulades entre nous (et qu’il soit venu me parler à ce moment là de son éviction disait finalement qu’il m’avait comprise, et savait à qui s’adresser). Quand il a été viré, il s’est adressé à un syndicat, et ce syndicat lui a dit de baisser les bras, d’accepter le peu que le patron lui donnait et de laisser couler. J’étais furieuse : il ne s’agissait pas de question d’argent, ici, mais de tout autre chose. Mon père m’a dit le discours « raisonnable » que le syndicat lui a tenu pour calmer sa colère à lui, qu’il ne fallait pas être déraisonnable, que demander plus allait être trop long et usant, etc. Mon père ne s’en jamais vraiment remis de ça je pense,  parce qu’il a pris ce discours comme le seul entendable. Si le suicide n’est jamais univoque, et si on ne peut pas non plus expliquer toute fragilité par le biais social, on ne peut pas prétendre que la société s’adapte aux plus fragiles, non. Si le suicide est une des résultantes d’un monde où on te réclamera de te conformer d’une façon ou d’une autre on ne peut pas non plus écarter la réponse qu’on apporte à ce fait. Si je comprends, personnellement, que ma colère n’est peut être pas que politique et relève d’autre chose, il n’en est pas moins vrai que ma colère politique est parfaitement recevable, et que même cette raison profonde et intime est parfaitement analysable aussi du point de vue politique.

Quand j’ai vu ce pilier de comptoir relever la tête à ce que je racontais de ma haine des patrons et de l’exploitation, j’ai pris conscience de cette chose : ce qui aurait sans doute soulagé aussi mon père, du moins en partie,  aurait été d’aller cramer sa boite illico. L’argent et la patience ne sont pas les bonnes réponses à apporter à une personne qu’on humilie quotidiennement.

le militantisme est une politique de la peur

alors que je râlais, encore une fois, sur l’absence de logique généralisée en temps de COVID encore plus que d’habitude parce qu’un pote ne veut pas sortir de chez lui et prétexte tout ce merdier pour me dire qu’on se reverra à la saint glinglin, on me demanda si ce pote avant des raisons de craindre le racisme des flics pour ne pas sortir.

La question m’a agacée : en plus d’être à côté de la plaque pour ce qui me préoccupait, je l’ai trouvé vaguement insultante vis à vis de ma connaissance de ce monde. Et mon agacement est la raison principale de mon propre repli jusqu’à ce que le monde retrouve son petit train-train, me laissant à mes lubies bizarres  : plus que jamais j’ai l’impression qu’on me prend pour une débile ou une enfant à qui il faut expliquer des bases simples en usant de multiples pincettes pour qu’elle reste raisonnable et ne se mette pas à crier trop fort. est-ce que ce copain « avait des raisons de craindre le racisme des flics ?  » est une tournure de phrase pour le moins compliquée pour demander si ton pote est Noir ou Arabe, et j’en restait coite : je ne sais pas à quel moment j’ai pu donner l’impression d’ignorer le racisme des flics, ou les craintes justifiées. et j’ai réfléchi, réfléchi une bonne partie de la nuit. Mon discours ne s’attarde plus sur les multiples et complexes intrications des diverses oppressions, je n’ai pas le temps pour ça et je n’ai plus envie de me perdre en tergiversations. Et des gens que je suis amenée à croiser encore dehors, heh, beaucoup sont Noirs et Arabes, inutile d’expliquer les intrications aussi de la précarité, du racisme, et l’accès au logement vivable attribué en fonction de ces critères, c’est de l’ordre de l’évidence.  D’ailleurs, en traversant Paris à pied du sud au nord pendant ce confinement, la différence de peuplement est tout à fait visible selon le niveau de vie des quartiers parcourus.

et puis, je me suis dit en regardant dans mon entourage qui sort, qui ne sort pas, et qui reste logique que y’a quand même une chose qui transparait dans tout ça, et depuis longtemps, et que j’avais constaté en moi concernant le féminisme : que les gens à devenir illogiques, contradictoires et démesurément craintifs de trucs qui ne les concernent même pas en premier lieu sont des gens qui s’informent à outrance ou bien se disent militantEs, d’une façon ou d’une autre. Comme au bout d’un moment les discours féministes tournant en boucle autour du témoignage et de l’étalage de constats déprimants je m’étais rendue compte que ça avait fini par nourrir des peurs que je n’avais pas. comme j’avais lu des témoignages de meufs authentiquement terrorisées en racontant du rien, rien d’autre que leur peur et aucune raison objective pour elles d’avoir peur, aucune menace réelle n’étant décrite, mais des anticipations dues à ce qu’elles avaient pu lire sur ces questions et un endossement de situations difficiles chez des gens non concernées par ces questions en premier lieu, dans une espèce d’autosurveillance et d’autocontrainte coupable. Comme si la liberté qu’on pouvait prendre pour soi était une insulte adressée à celleux qui ne pourraient sans doute pas prendre ces libertés sans en subir de graves conséquences. Ça ne devenait plus que la description, de plus en plus poussée, exhibitionniste de stigmates et en appelant clairement au voyeurisme, d’une façon très logique, et entrainant chez les meufs à lire et s’abreuver d’un tel militantisme, une vision d’horreur, un Armageddon permanent, une absence totale de lumière, une fatalité paralysante et totalisante et l’annihilation de toute tentative de lutte, en se pressant de détailler tout ce qui empêche celle ci, et renvoyant la lutte à un privilège. Ainsi si je sortais sans crainte dans la rue en tant que femme, c’est que j’usais d’un privilège, celui en somme de ne pas avoir peur, ce qu’on attendait d’une femme. Une vision essentialisante en somme,  provenant d’un mouvement prétendant œuvrer pour l’émancipation des femmes.

Je repensais à ça et je me disais que le militantisme sur les « violences policières » (et au lieu de parler de la violence de l’institution elle-même, bras armé de l’état, laissant entendre qu’il existe une police sympa comme si il existait une répression à la coule) est finalement assez proche, les gens qui comme moi continuent de sortir et sans pour autant nier ce qu’est la répression et la connaissant même bien, ne cherchent pas pour autant à s’abreuver en boucle de cette peur, et comme je constate aussi en moi comme je gagne en liberté de mouvement en ayant coupé, justement, ce que je pouvais lire de militant. Par militant ici j’entends le discours en boucle sur la fatalité et la description des horreurs, sans analyse, sans conclusion autre que « c’est l’horreur ».  C’est le principe du militantisme comme celui du politique  : abreuver en horreur du présent pour mieux te vendre un paradis futur, et si tu rejoins la troupe et t’en remets à une autorité bienveillante.

Ne pas parler en boucle de l’horreur que peut être ce monde ne signifie pas en ignorer la dégueulasserie, ou se satisfaire de ce monde dans une vision naïve. Ce que j’ai entendu dans cette question, c’est la naïveté qu’on me prête à me parler comme si j’ignorais que la police est raciste ou comme si je n’avais justement pas pensé à toutes les craintes qu’on peut avoir aujourd’hui encore plus qu’avant en triant ainsi ses relations. Aujourd’hui plus que jamais, je pense que le « militantisme » est non seulement stérile, mais est nocif, parce que bloquant toute initiative dans une vision apocalyptique sidérante. Oui tout est sidérant, et tout l’a toujours été de mon point de vue il n’y a rien de nouveau sous le COVID,  mais regarder en boucle les infos et le militantisme qui lui emboite strictement le pas dans la diffusion d’une autre peur n’aide réellement pas, voir enfonce toujours plus.

Les gens à sortir encore dans mon entourage encore ne sont pas militants et n’ignorent rien de comment ce monde fonctionne, simplement ils n’ont pas de vision déformée et accentuée par le ressassement malsain.